Assainissement et gestion durable de l’eau

Il est courant que l’installation d’assainissement (non collectif) des maisons écologiques soit une phytoépuration. Et s’il s’agissait d’un amalgame un peu simple du type « plantes = écologique » ? Et si la logique même qui sous-tend la démarche d’épuration des eaux usées était en décalage complet avec les enjeux environnementaux ?

Favoriser le retour à la terre

L’eau douce est une ressource rare et précieuse sur la « planète bleue ». Elle ne représente que 3% des eaux, et seule une infime part est utilisable par les humains. Elle est pourtant absolument indispensable à la fois pour notre consommation directe mais également pour faire pousser les plantes qui nous nourrissent et, aujourd’hui, pour tout un tas d’usages industriels dont nous dépendons. La protéger de la pollution ne suffit pas, il nous faut gérer la ressource au mieux.

Grossièrement, ce que disent les hydrologues c’est que l’eau est présente dans l’atmosphère en trop grande quantité, du fait d’une accélération du retour de l’eau de pluie dans la mer. Les terres tuées par les labours à répétition et les intrants chimiques ravinent, colorant les rivières de leurs sédiments. Les eaux de pluies des villes sont conduites directement au « milieu naturel », c’est-à-dire aux cours d’eau, avec ou sans passage en station d’épuration. Les marais sont asséchés pour permettre aux tracteurs d’y entrer et de participer à la destruction de leur capacité d’infiltration…
Aujourd’hui, la compréhension de l’interdépendance entre les sols et le cycle de l’eau se traduit par des démarches actives et low-tech comme celle de l’hydrologie régénérative, ou par des initiatives comme celle du Mouvement d’alliance avec le peuple castor.

Cette eau si précieuse arrive à nos robinets sans que nous n’y prêtions attention. Pourtant, en entrée comme en sortie de nos maisons, son parcours a été pensé pour éloigner les risques de propagation de maladies.

Brève histoire de l’assainissement

Il y a environ 12 000 ans, les humains se sédentarisent grâce à la découverte de l’agriculture. Alors à peu près 400 millions sur Terre, de nouvelles problématiques apparaissent : celles de la gestion des déchets et des eaux usées. Sans connaissance de l’existence des bactéries et virus, l’intuition que les eaux sales transmettent les maladies est malgré tout présente.
Alors assez « rapidement », les premiers systèmes d’évacuation des eaux usées font leur apparition.

photographie ancienne de fouilles archéologiques. On y voit un système de caniveaux construits en pierres positionnées comme des briques, qui autrefois reliaient les habitations au réseau de la cité.

Les sites archéologiques de la vallée de l’Indus, révèlent qu’il y a plus de 4000 ans les habitations étaient munies de salles d’eau, de latrines, et d’un système collectif d’évacuation des eaux usées. Canalisations, caniveaux, égout collecteur, puisards, bassins de rétention, tout y était déjà.

Les eaux usées, passées par des bassins de décantation, étaient acheminées à l’extérieur de la ville pour irriguer les champs et nourrir le sol. La civilisation Harappéenne est aujourd’hui considérée comme ayant inventé les égouts.

Les civilisations romaine et grecque ont par la suite utilisé le concept, mais l’ensemble des avancées en matière de salubrité furent balayées par les 1000 années de « l’âge sombre sanitaire » qui démarre au moment de l’effondrement de l’Empire romain. Au moyen-âge, en Europe on passe du « tout-à-l’égout » au « tout-à-la-rue »… avec les conséquences épidémiques bien connues encore aujourd’hui. Dans la vidéo suivante figurent des reconstitutions qui permettent de se faire une idée plus précise des conditions sanitaires dans les villes européennes au cours des dernier siècles…

La peste, le typhus et le choléra passeront par là, sans que le lien avec l’eau ne soit établi. L’Université de médecine prétend que ces maladies se transmettent par voie aérienne. Au milieu du 19ème siècle, une épidémie de choléra ravage Londres. Un médecin, John Snow, établira une cartographie de la contamination dans le quartier de Soho qui permit d’identifier une adduction d’eau comme étant à l’origine de la contamination. The Ghost Map, tel que la carte fut nommée, a participé à un changement de vision considérable en Europe.
C’est à la fin de ce même siècle que Paris fut entièrement transfigurée par le préfet Haussmann. Il confia notamment à Eugène Belgrand la responsabilité de la construction d’un vaste réseau d’égouts, qui permis de mettre un terme aux épidémies moyenâgeuses que connaissait la capitale.

À partir de là, les eaux usées additionnées des eaux de ruissellement étaient réintroduites en milieu naturel (comprenez par là qu’elles étaient déversées directement en rivière) déplaçant la pollution au Nord-Ouest de Paris. Les ingénieurs, conscients du problème, expérimentèrent avec succès l’épandage de ces eaux dans les plaines agricoles d’Asnières et Gennevilliers. En irrigant les cultures, les eaux usées étaient naturellement filtrées par le sol.

Mais l’urbanisation galopante mit un terme à cette pratique et rapidement, un grand programme d’installation de stations d’épuration vit le jour. Nous sommes dans les années 1960.

Et aujourd’hui ? Réflexion globale sur l’épuration

Il semblerait que notre logique de gestion des eaux usées n’ait pas évolué depuis près de 5000 ans… Pourtant, entre temps la population mondiale a été multipliée par 16, la densité de population en zone urbaine s’est considérablement accrue, la qualité de l’eau a été fortement détériorée, et nos connaissances des pathogènes et polluants n’ont jamais été si fines.

Sortir du tout-à-l’égout et de sa logique, voila une proposition qui peut paraître audacieuse voire irréaliste. Et puis pour quelle raison ?

Lors des gros événements pluvieux, de plus en plus nombreux, les stations d’épuration sont amenées à relâcher l’eau sans aucun traitement, par incapacité à gérer le débit entrant… Alors, autant faire en sorte que l’entrant soit le moins problématique possible…

Du côté des foyers, la séparation entre les eaux vannes (wc) et les eaux grises suffirait à faire toute la différence. Les déjections d’un foyer ne représentent en volume que 1 à 2% de ce qui est évacué dans le réseau d’assainissement, mais seraient à l’origine de 98 % de l’azote, 90% du phosphore et 99% des bactéries contenus dans les eaux usées domestiques.

Ceci est donc un plaidoyer pour une nouvelle répartition des eaux usées dans les réseaux domestiques. Les toilettes sèches sont une excellente solution pour y parvenir, mais elles ne sont pas la seule. En milieu urbain comme en milieu rural, des solutions existent sans nécessairement contraindre ceux qui ne le souhaitent pas / ne le peuvent pas à utiliser des toilettes à litières.

En Belgique, un certain József Országh a travaillé sur ce sujet et proposé un modèle circulaire permettant d’allier valorisation des déchets humains et protection des eaux. Si vous faites partie des décideurs et décideuses politique, je ne peux que vous inviter à lire attentivement les très nombreuses pages de son travail sur le site eautarcie.org qui est une vraie mine d’or.
J’avais découvert ce site lors de mes recherches sur la collecte de l’eau de pluie à visée d’autonomie, autre sujet majeur et d’actualité, et j’adhère personnellement à l’entièreté du raisonnement de ce monsieur.

Et chez nous ?

Dans notre projet de jardin nourricier, dans le projet de pépinière, comme dans la réflexion sur la conception de notre maison, accompagner l’eau dans le sol et agrader celui-ci sont des leitmotiv constants. Il peut paraître bien ridicule de s’en préoccuper à une échelle individuelle, mais nous pensons tous les deux que toute expérimentation nourri le commun.

Lorsque nous avons déposé notre permis de construire, il y a 6 ans maintenant, nous avons rapidement réglé la question de l’assainissement. Notre commune très rurale n’est bien évidemment pas équipée d’un tout-à-l’égout, ce qui nous orientait nécessairement sur une solution d’ANC (assainissement non collectif). Nous avions déjà conscience d’un très gros « enjeu eau » chez nous, alors nous avons pensé la façon de l’utiliser le plus soigneusement possible. Nos regards se tournaient notamment vers le potager et la pépinière que nous souhaitons alimenter totalement avec de l’eau de pluie (notre maison étant totalement autonome en eau, l’eau qui en ressort est de « l’eau de pluie usée »).

Nous savions aussi que nous n’aurions pas de toilettes à eau. Cette solution nous apparaissait comme un non-sens à cause de la quantité faramineuse d’eau qu’elles consomment : 25 à 30% de la consommation d’eau potable d’un foyer, avec une moyenne annuelle de 11m3 par personne ! Mais aussi parce que nous savons que des toilettes à litière représentent une ressource de choix pour le jardin.
Nous avions donc comme seule préoccupation de gérer au mieux les eaux grises : salle d’eau, cuisine, machines à laver.

Mais lorsque l’on dépose un permis, il est vite palpable que les normes sont pensées en direction de la revente future du bien, poussant parfois à des inadéquations entre les besoins des habitant·es et les installations. C’est pour cette raison que sur le plan de masse, que vous pouvez consulter sur l‘article dédié, figure une phytoépuration alors que nous n’avions pas choisi cette option. Il s’agissait simplement de déclarer un système agréé, car sans cet agrément les services d’urbanisme auraient retoqué notre demande de permis. Notre échange téléphonique avec le SPANC nous avait laissé entrevoir de la souplesse et des possibilités de dérogation (à condition bien sûr de ne pas faire n’importe quoi).

photo d'illustration dans l'herbe d'un jardin. Une canalisation en plastique arrive au niveau d'une tranchée que l'on devine. Elle est remplie de copeaux de bois.
photo Pierre&Terre

La pédo-épuration s’était en effet très vite imposée à nous. Simple tranchée peu profonde remplie de broyat de bois, elle sert à infiltrer directement les eaux usées dans l’horizon supérieur du sol, la couche vivante. Cette solution a comme principaux avantages d’être simple à mettre en œuvre, très peu coûteuse, accessible aux autoconstructeur·ices, et de nécessiter peut de place.

Nous sommes entrés dans notre maison en avril 2023 avec la version rudimentaire de ce système, qui aurait mérité l’installation d’un filtre à paille en amont pour fonctionner de façon optimale et éviter le colmatage de la tranchée (très limité malgré tout). Cette amélioration était facile à réaliser, mais un point nous dérangeait : nous ne pouvions pas récupérer cette eau, alors qu’elle nous serait bien utile l’été pour arroser le jardin !

Nous avons donc requestionné longuement ce choix. J’ai contacté quelques personnes de notre entourage pour avoir leur avis et retour d’expérience sur leur système d’ANC, et nous étions presque prêts à partir pour une phyto. Mais vous l’aurez compris après cette longue lecture, nous avons fait un tout autre choix.

Fosse toutes eaux, choix écologique

La fosse toutes eaux est sans doute le seul dispositif que nous avions écarté dès le début. Pourquoi ? Sans doute par biais car elle n’a pas l’image d’un truc écolo, et puis nous avions vu dans notre précédente location ce que pouvait donner un colmatage en terme de coût et de désordres… D’ailleurs, nous ne sommes pas certains du tout que le camion de vidange puisse accéder à notre terrain !

Heureusement, nous ne devrions pas avoir besoin de ses services, puisque nous ne rejetons pas d’eaux vannes dans le système. Voici la façon dont nous l’utilisons :

Les eaux grises subissent un premier « traitement » dans la fosse toutes eaux. Le principe de celle-ci est simple : les matières solides se déposent au fond où elles se liquéfient, les graisses surnagent et créent un chapeau. Cette croûte est essentielle au bon fonctionnement de la fosse, puisqu’elle abrite les bactéries anaérobie qui dégradent les restes de savons et lessives. Il est donc essentiel de ne surtout pas installer de bac dégraisseur en amont.
Si tout fonctionne correctement, l’épaisseur de boues ne devrait pas beaucoup varier et l’équilibre devrait se créer de lui-même, sans nécessité de vidange.

Entre les graisses et les boues, la zone des clairs. C’est l’eau de cette partie qui est ensuite acheminée vers un second contenant, de 200L celui-ci. Ce sont cette fois les bactéries aérobies qui font le travail, stimulées par le bulleur installé en fond de fût. Cette étape doit permettre l’élimination de l’odeur de l’eau.

L’eau est enfin acheminée vers des cuves de stockage (IBC noires) l’été, ou vers une tranchée d’infiltration remplie de broyat de bois lorsque nous n’avons pas besoin de la récupérer.


Comme d’habitude, je précise que ce que vous lisez ici est le fruit de recherches personnelles. Si vous pensez que je fais erreur, qu’il y a des inexactitudes, ou que vous voyez des points de critique à formuler au sujet de ces propositions et informations, pensez à rédiger un commentaire ou à m’écrire.


– Notes diverses –
> Le problème de l’épuration par les plantes, accès direct sur eautarcie.org
> Les erreurs de la science du génie sanitaire, accès direct
> Emma Haziza, les crises de l’eau dans Sismique
> Au sujet de l’eau sur terre, quelques ordres de grandeur : Consoglobe
> Sur la quantité d’eau utilisée pour les toilettes : Consoglobe
> Penss et les plis du monde, un superbe et poétique roman graphique qui nous mène à l’aube de l’humanité, lors de la découverte du grand secret de reproduction des plantes
> Sur l’impact des activités humaines sur les zones humides, un très beau film dans le marais poitevin en compagnie de Julien Le Guet, figure de proue de Bassines Non Merci : De l’eau jaillit le feu
> Sur l’eau, les sols, et les castors, Rendre l’eau à la terre de Baptiste Morizot et Suzanne Husky

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