Il est temps il me semble de vous parler de mon rapport à l’autoconstruction et à notre projet de mon point de vue de femme.
Je lis beaucoup, et article après article, essai après essai, je réalisais l’ampleur catastrophique de la situation dans laquelle nous sommes en tant qu’occupant.es de la planète Terre.
Il y a une petite dizaine d’années, je modifiais mon alimentation et ma façon de consommer en prenant conscience du mal que nous faisions aux animaux et de l’impact écologique énorme que ce massacre de masse induisait. Il me fallait ensuite aller plus loin et m’extraire de la ville qui m’étouffait, qui me rendait prisonnière d’un système marchand dont je ne voulais plus. J’avais envisagé la Corrèze pour y créer une maison d’hôte. Mon cadre personnel et familial de l’époque ne suivait pas, j’avais alors laissé l’idée de côté.
En rencontrant Marc il y a bientôt 6 ans, il était évident que c’était avec lui que ce projet de repartir à la campagne prendrait vie et sens.
J’ai amené l’idée de l’autoconstruction, qui l’a rapidement tenté puisqu’elle est venue le chercher sur ses envies de travail du bois, de passage à une vie entourée de nature, et d’un mode de vie plus en cohérence avec ses engagements écolo.
Est venue ensuite au cours de mes recherches l’envie de construire en paille. L’idée l’a séduit lorsque je lui ai exposé tous les avantages écologiques à une telle construction. Nous sommes donc partis bille en tête dans cette voie.
Lorsque nous avons mis sur le papier notre projet de rêve, nous avons clairement identifié que le moteur de tout ça était notre couple et nos valeurs communes. Rêver ensemble, faire ensemble. Il était donc dès le départ hors de question que l’un fasse sans l’autre.
La vie de famille
L’arrivée de notre bébé O, prévue pour le printemps 2019, nous a poussés à décaler la construction de la maison et à commencer par celle de l’atelier. Il était pour moi hors de question que Marc construise notre futur foyer seul.
Je n’avais pas encore mesuré à quel point l’autoconstruction pouvait vite renvoyer une femme et nouvelle mère à un rôle de ménagère.
Le post-partum n’est pas un long fleuve tranquille pour beaucoup de mères, dont je fais partie. À cela est venu s’ajouter un cafouillage assez classique sur notre organisation : j’étais déjà mère, et j’ai oublié que Marc devenait père pour la première fois et qu’il ne pouvait pas savoir à quoi s’attendre en terme de charge familiale.
J’ai passé les 9 premiers mois de O à m’en occuper de façon quasi exclusive, assurant en même temps toute l’intendance de la maison -ou de la caravane et du chantier qui allait avec ! – pendant que Marc construisait l’atelier. Cela a créé de grosses tensions autour de la répartition des tâches au sein de notre foyer.
C’est un schéma tellement classique d’en passer par là… On peut même parler d’un schéma récurrent dans les couples hétéro qui deviennent parents : d’une répartition des tâches à peu près équitable lorsqu’il n’y a pas d’enfant, on passe au gros déséquilibre mesuré par les statistiques.
Je place quelques références en bas de cet article, sans m’étendre sur les chiffres et raisons à cela car la littérature est prolifique sur le sujet.

Il nous a fallu commencer à déconstruire une partie de ces schémas, trouver un nouvel équilibre, bref devenir parents ensemble après cette phase difficile. Comme pour beaucoup, mais pas pour les mêmes raisons, l’année 2020 a été émotionnellement chargée. Nous l’avons affrontée ensemble, et nous félicitons d’avoir su repousser la construction de notre maison à 2021. Avec le peu de recul que nous avons, nous mesurons à quel point c’était nécessaire.
C’est donc dans un contexte et une ambiance tout à fait différents que se déroule notre chantier cette année. Exit le déséquilibre monumental, nous nous sommes répartis les tâches.
J’ai donc :
– pris l’ensemble des renseignements nécessaires à la production de pièces de permis qualitative (je ne suis ni archi, ni issue d’un métier du bâtiment)
– réalisé l’ensemble des plans destinés au permis, le premier plan d’exé, et les projections 3D
– suivi une formation à la construction paille
– passé des heures à échanger avec des pros et à lire pour peaufiner notre plan et le choix des techniques
– recherché et contacté une partie des fournisseurs
– établi le premier budget prévisionnel par grands postes
– pensé le schéma électrique global (incluant du réseau et du PV)
– défini la technique constructive des cloisons (pour l’isolation phonique)
– encadré le travail du terrassier
– participé aux travaux de VRD (pose des regards, des raccordements en PEHD…)
– implanté la maison et fourni les plans pour la pose des Technopieux
– coupé toutes les solives des dalles RDC + étage
– participé à l’assemblage de la dalle
– assemblé seule les cadres d’ossature qui constituent les murs
– participé au levage des cadres
– posé une grande partie du pare-pluie et réalisé toutes les finitions en encadrement des ouvertures
– réalisé presque l’intégralité du litelage du bardage (on en est là à la date d’écriture)
Pourquoi je vous fais cette liste ?
Eh bien simplement pour essayer de rendre palpable la raison de ma colère sourde lorsque, sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, on félicite Marc.
Juste Marc.
Parfois, lors d’une visite du chantier, j’entends qu’on lui dit « tu as fait du bon boulot ».
Moi, on me demande « et ta cuisine elle est là ? ».
On me parle de la future couleur des murs, mais on adresse les questions techniques à Marc. Même quand il botte en touche, soit parce qu’il sait que j’en connais plus sur le sujet que lui, soit parce qu’il me sait parfaitement capable de répondre et que ce comportement l’agace maintenant qu’il le voit*.
Dans la vie réelle, je ne réagis pas de façon systématique. La dépense d’énergie générée par ce type de discussion est très importante au regard d’un résultat généralement décevant alors j’adapte mon attitude à ce que je perçois comme ouverture en face de moi, et à mon humeur du moment.
Sur les réseaux par contre, je m’emploie à réagir car les commentaires sont lus par de nombreuses personnes et que par extension, mes interlocuteur.ices ne sont pas identifié.es. Et il me semble essentiel de porter ce message pour, à mon humble niveau, participer peut-être à la prise de conscience de nos comportements sexistes intégrés.
Il n’y a aucun débat à mener sur la capacité des femmes à construire leur propre maison. Tout est affaire de choix de techniques et de matériel. Et de confiance en soi.
Il y a par contre un espace d’échange à ouvrir sur les raisons de cette division sexuelle des tâches, qui est bien souvent issue d’une imposition sociale et non d’un choix conscient.

Un acte militant
Autoconstruire notre maison est pour moi un acte fort de sens. Un acte de militantisme féministe.
Je lisais Fatima Ouassak (1) récemment, qui dit d’elle-même qu’elle politise tout. Et je me retrouve parfaitement dans ce propos.
La société attend des femmes qu’elles soient discrètes, et ce conditionnement dès la plus tendre enfance marche plutôt bien. Tellement discrètes qu’elles disparaissent facilement du paysage médiatique créant ainsi un énorme biais d’interprétation sur les raisons de leur absence.
Je suivais il y a peu un sommet en ligne sur la maison autonome, et constatais sans grande surprise que sur 21 intervenant.es, il n’y avait que 5 femmes dont 2 sur la thématique « foyer ». Les organisateur.ices du sommet m’ont répondu qu’iels n’avaient pas trouvé davantage de femmes à inviter. C’est une réponse que j’ai entendue nombre de fois, je n’étais pas surprise. Et il est vrai que lorsqu’on contacte des femmes pour les inviter à intervenir dans une conférence, elles sont nombreuses à décliner et à se juger insuffisamment compétentes.
Nous grandissons avec des modèles d’experts hommes dans lesquels les femmes ne peuvent se reconnaître. Sur les réseaux sociaux, dans les magazines dédiés, dans les conférences, les femmes sont très peu représentées donnant l’impression que seuls les hommes (blancs et cis) s’emparent des sujet techniques tels que l’éco-construction, ou même l’autonomie.
De plus, les comportements de mansplanning et manterrupting sont si ancrés qu’ils sont bien souvent invisibles aux yeux de toustes, femmes incluses, bien qu’ils soient parfaitement dévalorisants pour l’interlocutrice.
Dans ce contexte, comment imaginer que les femmes puissent se sentir à l’aise et légitimes ? Comment s’étonner du succès des fameuses « réunions en non mixité » (qui ne choquent personne quand il s’agit de réunions entre mâles blancs à cravates) ?
Ce parcours d’autoconstruction me pousse à développer d’autres techniques d’affirmation face aux hommes qui prennent trop de place. Et à prendre la mienne.
J’enfonce des portes ouvertes pour celleux qui connaissent le sujet. Pour autant, les témoignages sur ce genre d’expérience ne sont pas légion, il me semblait donc utile de partager la mienne.
C’est du vécu – quelques anecdotes en illustration de mon propos
– À l’occasion d’un RDV avec un pro, Marc et moi avions décidé que c’était moi qui parlerais en notre nom à tous les deux, tout simplement parce que c’était moi qui allait produire les pièces au sujet desquelles nous échangions. Pendant toute la durée de l’échange l’homme a répondu à mes questions en s’adressant à Marc…
– Une autre fois, un pro avec qui nous venions de commencer à travailler venait systématiquement vérifier auprès de Marc si les indications que je lui donnais étaient exactes ! Une fois qu’il a pu constater que c’était le cas, il a commencé à me faire confiance, mais en balançant des petites piques pour me rappeler à mon statut de femme de temps à autres.
Je vous épargne les remarques sexistes, souvent prononcées sur le ton de l’humour (qui a bon dos), le sexisme institutionnel (taxe foncière au nom exclusif de monsieur), et l’attitude de certains participants au chantier qui n’écoutent les explications et consignes que lorsqu’elles sont énoncées par Marc…
Un choix tourné vers l’avenir
Mon choix d’autoconstruire est également guidé par une volonté d’ouvrir la voie à mes enfants. À ma fille principalement, puisque j’espère qu’elle mettra bien moins de temps que moi à se défaire des chaines sociales qui limitent les mouvements des femmes. Et à notre fils aussi, puisqu’il est à mon sens fondamental d’offrir aux garçons une vision non limitantes des femmes (et des hommes mais ce n’est pas le sujet ici).
Construire sa propre maison de A à Z, c’est aussi en connaître les moindres détails : savoir où passe ce tuyau, comment est raccordé cet interrupteur, de quelles couches successives est composé ce mur, où sont positionnés les montants d’ossature, etc.
C’est pouvoir réparer seul.e, modifier seul.e.
C’est s’autonomiser dans la durée, en évitant la dépendance à une personne qu’il s’agisse traditionnellement du conjoint ou d’un.e artisan.e.
Dans un futur chaque jour plus incertain, autoconstruire me paraît une voie de résilience fondamentale. Et j’écris cela en étant très consciente qu’une autoconstruction parfaitement résiliente ressemblerait sans doute davantage à une cabane, un kerterre, ou autre construction plus sobre et brute que la notre.
J’espère qu’en me lisant, certaines verront leurs freins se lever et décideront d’essayer si l’aventure les tente. Et j’espère aussi que certains arriveront au bout de cette lecture avec l’envie de participer à rompre ces schémas nocifs pour toustes.

* Je n’attends pas de lui qu’il prenne en plus le rôle valorisé de chevalier servant défendant sa belle. Je ne suis pas une princesse à sauver dans un donjon 😉
(1) La puissance des mères, éditions La Découverte, 2021
Évolution de la répartition des tâches domestiques après l’arrivée d’un enfant – article
Découverte du propos d’Illana Weizman dans son livre « Ceci est notre post-partum » – épisode 116 du podcast Bliss stories
Titiou Lecoq au sujet de son propos dans son livre « Libérées, le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale » – interview 1 / interview 2
Au sujet de la division sexuelle du travail